La photographie est une discipline qui ne m'est pas
familière. Je suis plutôt inculte à son propos, de plus j'ai un a priori vis à vis de celle-ci, celui
d'une certaine froideur. Grâce à une amie de passage à Paris, j'ai pu me rendre
à l'exposition consacrée aux premiers albums de Lucien Clergue, au Grand
Palais, visible jusqu'au 15 février
2016. J'ai découvert l'artiste et son travail, émerveillée, au cours de
cette exposition à la scénographie tout en longueur et en sobriété, oscillante
comme une vague. Coup de foudre esthétique.
Le
jeune Lucien Clergue grandit dans une Arles détruite par les bombardements de
la Seconde Guerre Mondiale. Sous la chaleur implacable de midi, il déambule
dans les décombres de sa ville natale. Il se nourrit de l'air imprégné du sang
fumant des taureaux tués dans les arènes, et du chant des gitans. Ces deux
composantes de sa vie font partie intégrante de ses travaux. Il est l'un des
rares, si ce n'est le premier, en cette moitié de XXe siècle à rendre hommage
aux taureaux morts après l'aficion (ou corrida), et à saisir des moments
de vie dans les camps gitans sans misérabilisme ni diabolisation, célébrant au
contraire leur culture.
©bloomwood_a
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De
cette adolescence sombre (et si lumineuse à la fois, si inspiratrice !), il
puise la matière première de ses travaux, et photographie son environnement avec
un matériel basique : les ruines, les vieilles pierres, les objets cassés, les
carcasses d'animaux. Le tout sous un soleil éclatant, découpant les ombres au
couteau. Le jeune Lucien allie ainsi son attrait pour le morbide et sa soif de
lumière.
Lumière,
omniprésente dans les photographie de l'artiste, telle une matière sculptée !
Il en joue avec génie, la chassant dans les marais de Camargue. Les roseaux,
les reflets de l'eau stagnante, les boues et sables forment avec le soleil des
ensembles géométriques frôlant l'abstraction. Cette lumière est aussi l'un des
éléments essentiels de ses nus féminins en bord de mer, qui le rendirent
célèbres. Eau, peau nue, sable et soleil. Des corps féminins généreux, libérés,
et universels, selon ses propres mots. Un enchantement, une sensualité que,
pour ma part, je n'avais que très peu rencontrée dans une œuvre d'art, même en
peinture. Une chaleur brutale se dégage de ces clichés en noir et blanc,
claquant dans l'œil, rendant aussi vivant le corps souple et mouillé du modèle,
et le squelette blanchi d'un chat trépassé.
©bloomwood_a
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L'histoire
et la personnalité fascinantes du jeune Lucien sont merveilleusement restituées
par un fourmillement de documents vidéo, tels que des films tournés par
l'artiste, et de nombreuses interviews réalisées pour la télévision, très
émouvantes, témoignages d'une époque où tout restait à faire dans le domaine de
la photographie. Il fut l'ami de nombreux artistes vivant dans sa région, avec
qui il collabora et qu'il photographia souvent : Pablo Picasso, Luis Mariano,
Jean Cocteau, Saint John Perse, Manitas de Plata (qu'il découvrit, et dont il
devint le manager !)... A l'issue de l'exposition, on a l'impression de
connaître intimement ces gens, mythes du siècle dernier, saisis sur la
pellicule avec une fraîcheur désarmante, dans des moments d'intimité précieux.
J'ai
été profondément touchée par le travail de l'artiste, qui, à l'aide du seul
moyen d'expression qu'il possédait, a créé son univers, écorché vif et solaire.
Son travail traverse le temps, et sa simplicité apparente (qui cache une
composition très rigoureuse de l'image) peut toucher, il me semble, un grand
nombre de néophytes curieux, ayant soif de vitalité dans l'art.
Margot
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