Certains se
rendent au Sacré cœur, d'autres à la Tour Eiffel. Certaines préfèrent les
lumières des Galeries Lafayette, leurs copains la boutique du PSG. Oui, les
lieux de pèlerinage de Paris sont aussi nombreux que ses habitants et ses
visiteurs. Pour le monde du théâtre, c'est un peu pareil. La Comédie Française
serait une sorte d'Olympe scénique. On ne doit pas pour autant oublier les
autres temples du spectacle qui fourmillent dans la Capitale. Le théâtre de la
Huchette, situé dans le 5ème arrondissement, où je vous emmène aujourd'hui, est un véritable monument. Malgré son
humble enseigne, il s'inscrit durablement dans le temps. Non pas à la manière
des institutions telles que Chaillot ou l'Odéon, mais en jouant tous les soirs,
depuis plus de 57 ans maintenant, la
même représentation, fait unique dans l’histoire mondiale du théâtre.
Le lieu semble
« hanté » : emplacement supposé d’un trésor enfoui au XVIIIe
siècle, et plus récemment anciens locaux du Caucase, le restaurant des parents
de Charles Aznavour (!), il est repris en main par Georges Vitaly et Marcel
Pinard, amis du conservatoire, qui cherchent un asile pour leurs esprits
créatifs. Après quelques travaux, de nombreux dramaturges et comédiens de
l’époque y font leur classe. Le relais est passé à Ionesco en 1957 et le 16
février de cette même année commence le cycle immuable des représentations de
la Cantatrice Chauve et de la Leçon, chaque soir jusqu’à
aujourd’hui et pour longtemps encore, suivi d’une troisième représentation libre,
à 21 heures. Toujours plein, le théâtre de la Huchette abrite une petite
soixantaine de places, sauf si l’on compte aussi les strapontins, qui grincent
et font mal aux fesses, comme les autres sièges finalement. Vous vous assiérez
sans doute entre une famille allemande ou un groupe scolaire italien, au choix,
tant la renommée du théâtre est étendue. Attention, le spectacle va commencer.
©Fabienne Rappeneau
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Une présentation sobre de la Cantatrice Chauve et quelques
recommandations envers les accros à l’électronique précèdent les fameux coups
mats derrière le rideau. Nous voici les spectateurs d’un petit manège qui dure
depuis cinq décennies : les Smiths reçoivent – avec bien peu d’égards –
les Martins, leurs « amis » de toujours. Entre aigreurs et conventions
sociales saugrenues, les personnages sont d’étranges clowns tristes, perdus et
délicats dans leurs costumes poussiéreux.
« Et la Cantatrice Chauve ? Est-ce qu’elle se coiffe toujours
de la même façon ? »
©Benjamin Maignan
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Si le cœur vous en dit, vous
pouvez assister à la deuxième pièce, La
Leçon. Moins connue, mais tout aussi frappante, l’œuvre vous laissera prostré
d’angoisse sur votre siège. Une jeune fille blonde, aussi diplômée qu’ignorante
(chez Ionesco c’est possible) suit la leçon particulière d’un professeur très
investi dans son travail, trop peut être. La leçon dérape. Je n’en dirai pas
plus. Tout est question d’ambiance et de sous-texte. L’humour borderline et les situations délirantes
des pièces d’Ionesco nous plongent dans un éternel cauchemar, où les personnages
tournent sur eux-mêmes et ressassent les mêmes rengaines, sans délivrance.
Sachez que votre présence au
Théâtre de la Huchette est vitale : oui, sur vos frêles épaules et celle
des nombreux touristes de Paris repose le sort du théâtre, menacé de fermeture
à cause de son étroitesse et de sa non-conformité aux normes de sécurité. Les places,
relativement abordables (soit 15 euros pour une pièce, 21 euros pour les deux
pièces) permettent aux étudiants d’assister au spectacle sans se ruiner, et
favorisent la fréquentation accrue de la salle. L’expérience est unique, et il
est grisant de faire se perpétuer la marche tranquille et ininterrompue de ce
petit théâtre, si grand pourtant.
Margot
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